Grèce : «La première victime de la crise, c’est bien la démocratie»
21.01.2015
Maria Malagardis
Entretien avec Yorgos Avgeropoulos, réalisateur du documentaire «Agora» sur les enjeux politiques de la crise économique touchant la Grèce.
Le passé de la Grèce est imprévisible, pour paraphraser le titre d’un livre récent sur la Russie (Lorrain, 2014). Dimanche les Grecs voteront pour élire de nouveaux dirigeants. En attendant, les débats de la campagne électorale se concentrent sur les racines de cette crise inédite. D’autant plus que les sondages prévoient la victoire de Syriza, la Coalition de la gauche radicale, qui veut remettre en cause l’austérité imposée par Bruxelles et le FMI depuis quatre ans. «Le remède a tué le malade», explique en substance Syriza qui n’a jamais gouverné le pays mais dont la popularité actuelle surfe sur le désarroi des Grecs, dont un tiers vit désormais sous le seuil de pauvreté. «Il n’y avait pas d’autre remède possible», lui répond Nouvelle Démocratie, le parti conservateur qui a dirigé le pays depuis 2012.
A chacun sa lecture. Mais ces jours-ci à Athènes, un documentaire projeté dans quelques cinémas de quartier offre sa version de l’histoire et connaît un franc succès. Agora, également projeté vendredi au FIPA de Biarritz, part des origines de la crise jusqu’à aujourd’hui, et interroge aussi bien de simples citoyens que des acteurs clé de cette période en Grèce comme à Bruxelles. Au final, reste l’impression d’une vaste manipulation. Yorgos Avgeropoulos, le réalisateur du documentaire, s’en explique à Libération.
A la veille de nouvelles élections, quelles leçons faut-il tirer de la crise grecque ?
La Grèce a expérimenté une thérapie de choc qui n’a rien réglé, à partir d’une mauvaise analyse. Les décideurs européens se sont notamment fondés sur l’étude deux statisticiens américains, Katherine Reinhart et Kenneth Rogoff, pour expliquer que la rigueur était inéluctable. Or je montre dans le film comment les chiffres ont été manipulés. On nous a également vendu le mythe du «contribuable allemand ou français qui payait pour sauver la Grèce». Alors qu’en réalité, il fallait surtout empêcher le système bancaire de s’effondrer. Les banques auraient été «too big to fail» selon la formule usitée : trop grandes pour sombrer. Il fallait les sauver pour éviter une catastrophe. Mais qu’est ce qui empêchera la dérive de se reproduire ? Dans ce contexte l’austérité s’est révélée une fausse solution. Comme le dit Naomi Klein dans le film, ce sont les politiques d’ajustement structurel, imposées dans les années 1990 aux pays en voie de développement, qui aujourd’hui «rentrent à la maison». Et ceux qui stigmatisent aujourd’hui la Grèce feraient bien de prendre garde : aucun pays n’est à l’abri. Aujourd’hui l’élite politique en Grèce comme dans le reste de l’Europe est déconnectée des réalités. Elle prétend les subir parce qu’il n’y aurait pas «d’autre solution» comme le prétendent dans le film, presque gênés, les responsables à Bruxelles. Mais le seul curseur de référence, c’est l’argent, les marchés. Et la première victime de la crise, c’est bien la démocratie.
Que doit craindre la démocratie ?
En Europe et pas seulement en Grèce, on vit déjà en réalité dans une situation de «métadémocratie» : toutes les institutions sont en place, les gouvernements changent, mais le vote n’a plus aucune importance. Les politiques restent les mêmes. C’est d’ailleurs le sens des pressions actuelles de Bruxelles et Berlin sur la Grèce, selon lesquelles si Syriza vient au pouvoir, on ne pourra pas changer de politique et l’austérité continuera. Mais les citoyens grecs qui voteront pour Syriza, le font justement pour un changement de politique ! Les instances européennes n’ont plus aucun scrupule à contredire les peuples. Et si on voit ce qui se passe en Grèce, c’est dangereux.
En quoi l’exemple de la Grèce est-il inquiétant ?
Dans le film je montre une scène surréaliste, une parodie de Parlement où une loi est votée alors que l’Assemblée est vide ou presque. Le speaker fait semblant de demander l’approbation de députés fantômes. A quoi ça sert de voter d’ailleurs ? En Grèce, on a pu fermer la télévision publique en quelques minutes sans aucune consultation. Cet écran noir, imposé ce 11 juin 2013, est comme le symbole d’une démocratie qui s’éteint. La social-démocratie a capitulé. Comme le reste de l’Europe, elle a vu sans réagir le gouvernement grec fermer tout le réseau de télévision public, elle a vu les policiers matraquer sauvagement les manifestants qui s’opposaient à l’austérité. Mais le vide ainsi créé dans l’espace politique finit toujours par se remplir. En Grèce ce n’est pas un hasard si un quart des forces de police votent déjà pour les néonazis de l’Aube dorée. La droite est aujourd’hui dominante dans les instances de Bruxelles. Demain l’extrême droite récupérera le désespoir d’une partie du peuple abandonné par les élites politiques. Sauf si on prend conscience du danger…